Dans le cadre d’un séminaire organisé par le réseau des pôles métropolitains sur le thème Culture et Tourisme, le Comité national de liaison a été invité à participer à une table introduite par Jean Pierre SAEZ, Directeur de l’Observatoire des Politiques Culturelle et intitulée: les pôles métropolitains, un cadre pour agir : gouvernance, financement et ingénierie ?
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Intervention de Didier SALZGEBER, coordinateur du Comité national de liaison des EPCC[i]
Je remercie les organisateurs d’avoir invité le Comité national de liaison à partager cet après-midi les réflexions autour des pôles métropolitains. Mon intervention étant la dernière de cette table ronde, je me permettrai, avant d’aborder précisément la question des EPCC et après avoir entendu les expériences présentées, de poser trois questions liminaires :
De quel point de vue parle le pôle métropolitain ?
Nous avons des difficultés à comprendre, à partir des expériences présentées, de quel point de vue se situe un pôle métropolitain. S’agit-il d’un acteur direct porteur d’un modèle industriel, touristique et culturel… ? Ou s’agit-il alors d’un nouvel acteur jouant le rôle de contenant dont l’objectif est de faciliter l’action des autres acteurs, en particulier en leur permettant de projeter leurs actions dans un espace et une économie globalisée et mondialisée ? Il y a comme un paradoxe à vouloir sortir des logiques de concurrence pour développer des projets métropolitains concurrentiels à l’échelle européenne et internationale.
Avec les pôles métropolitains, il s’agit sûrement de positionner les villes à une autre échelle en s’appuyant sur de nouvelles actions stratégiques plus que sur une nouvelle organisation des collectivités publiques en termes de compétences (au sens de compétences légales).
Quelles sont les priorités politiques et démocratiques portées par les pôles métropolitains et par les autres collectivités ?
Il me semble qu’il y a une confusion entre ce que fait un pôle métropolitain et ce qu’il cherche à produire. Les témoignages sur les expériences actuellement en cours ne nous apportent que peu d’éléments sur les finalités portées par les partenaires publics. Quelles sont les externalités (les effets externes) des systèmes métropolitains ?
Pour éviter ces confusions il me semble important de recréer des liens de causalité entre les facteurs présentés cet après-midi afin de réussir à prendre des décisions sur les investissements publics à engager à courts, moyens et longs termes. Ce dialogue sur les choix prioritaires doit être mené avec l’ensemble des acteurs. Car reconnaissons le, des acteurs locaux ont parfois l’impression que les stratégies se font à leur détriment. Plusieurs témoignages montrent également qu’un pôle métropolitain est peut-être d’abord à considérer comme un processus d’élaboration d’une pensée politique, plus prospective et stratégique, reposant plus sur une expérience collective que tactique, individuelle et opérationnelle.
Quelles pourraient être les fonctions portées par les politiques publiques et à quelle échelle au travers du pôle métropolitain ?
Il a été rappelé que ces pôles métropolitains doivent trouver une organisation avec les autres échelles de collectivités. Mais en fait, la métropole n’ouvre-t-elle pas pour les acteurs un espace des possibles qui iraient au-delà des modalités d’organisation, de gestion des services et des statuts ?
Avec les pôles métropolitains nous comprenons qu’il y a une nécessité, voire une urgence, de gérer les logiques sectorielles et des logiques plus globales et transversales. Dans ce cadre, il est difficile de comprendre ce qui est appelé « sortir des logiques de concurrence » à moins de comprendre les dynamiques en cours comme une nécessité d’une structuration des politiques à l’échelle infra territoriale pour devenir un acteur repéré et reconnu dans l’espace européen et international. Cela suppose la mise en place d’un nouveau modèle de développement capable de positionner les projets des territoires dans une vision plus prospective. Une question se pose alors quant à l’articulation des pôles avec les autres collectivités : que fera le pôle métropolitain que les Etablissements Publics Intercommunaux ne feraient pas ? Que les Régions ne feraient pas ? Que les Conseils Généraux et les Communes ne feraient pas ? Quelles sont alors les stratégies à envisager sur l’espace européen, en particulier vis-à-vis des capitales européennes comme Londres, Paris, Amsterdam, Milan, Podgorica ou Athènes ? Sur l’espace international par rapport à la Chine, l’Inde, l’Afrique ou encore l’Amérique du Sud ?
Enfin, le fait de réunir l’ensemble des acteurs d’un territoire n’est pas le monopole des pôles métropolitains. En Lorraine par exemple l’État et le Conseil régional ont pu expérimenter une Conférence régionale des arts et de la culture pour l’ensemble des domaines. Il est intéressant de noter que celle-ci s’est arrêtée avec la montée en charge des ateliers organisés par le Sillon Lorrain, en préfiguration du futur Pôle Métropolitain. Nous percevons à travers le phénomène métropolitain, l’occasion et un désir de changement dans les politiques publiques. La question se pose de savoir pourquoi il y a besoin, comme on a pu le connaître avec l’intercommunalité, de recréer un nouvel espace territorial pour aborder les questions de mutation et de changement ?
Ces remarques étant faites, et après avoir entendu la présentation concernant les sociétés publiques locales, je voudrais aborder la question des EPCC. Les expériences portées par les membres du Comité débouchent au moins sur une certitude : ce n’est pas un statut juridique qui définit un projet politique. Au mieux il incarne, par défaut il peut créer les conditions de sa formulation. Pour tenter de comprendre le rôle que pourrait avoir un Etablissement Public de Coopération Culturelle, je partirai de deux questions : en quoi la création d’un EPCC peut elle être une réponse pertinente aux questions posées par les projets métropolitains ? Une seconde question : à quelles conditions un EPCC peut-il être au service, et au-delà contributeur d’un projet métropolitain ?
La pertinence d’un EPCC
Je verrai au moins quatre raisons pouvant faire de l’EPCC une réponse pertinente pour les pôles métropolitains :
- L’EPCC est un outil de coopération politique conçu comme tel par le législateur. Il faut être au moins deux pour créer un EPCC. Et à la différence des Sociétés Publiques Locales, qui se situent plutôt dans une approche capitalistique, l’EPCC est un outil qui se situe en premier lieu dans une approche projet dans le cadre d’une responsabilité illimitée : ce qui suppose et symbolise un engagement politique fort. Créer une nouvelle personnalité morale de statut public n’est pas une décision anodine. C’est le projet (orientations politiques/finalités/objectifs/services) qui doit guider cette décision : créer un EPCC n’a pas la même signification que créer une Société Publique Locale. Chaque statut symbolise des choix politiques. Il serait dommage de les masquer par des aspects strictement juridiques et techniques ;
- La deuxième raison, c’est que l’EPCC est un service public qui se situe dans le prolongement de l’action de chacune et de l’ensemble des collectivités publiques impliquées. Son autonomie lui permet alors de porter une parole publique complémentaire de celle des différents partenaires agissants au sein d’un projet (un peu dans une logique de subsidiarité) ;
- la troisième raison qui rend ce type d’établissement pertinent, c’est que, au regard de ces caractéristiques, l’EPCC pourrait être positionné comme un service culturel public face aux évolutions des cadres réglementaires, en particulier au plan européen avec la déclinaison dans le droit français du paquet ALMUNIA. Dans cette perspective, l’Etablissement Public de Coopération Culturelle pourrait être considéré comme une des réponses aux exigences de la Commission Européenne. Les EPCC, parce qu’ils sont un service public de la culture, ne sont pas dans le principe concernés par ces nouvelles règles : c’est comme si ces règles étaient appliquées aux Dotations Globales de Fonctionnement entre l’Etat et les collectivités territoriales, cela serait impensable !
- dernière raison enfin, l’EPCC (essentiellement à caractère industriel et commercial) est un moyen tout à fait approprié pour mobiliser les compétences humaines nécessaires à la réalisation d’un projet dans un cadre différent de celui des cadres d’emplois de la Fonction Publique Territoriale. Sur le même registre le directeur se voit confier, au regard de son projet d’orientations, un mandat par le conseil d’administration. L’EPCC est donc un outil à la fois de coopération entre les collectivités membres du conseil d’administration, avec ou sans l’État et un outil contractuel entre la puissance publique et un acteur professionnel.
Les conditions
La question maintenant se pose de savoir à quelles conditions un EPCC peut-il apporter une réelle contribution à un pôle métropolitain ? Je vois au moins trois conditions :
L’EPCC doit être investi par la puissance publique comme un acteur opérationnel et stratégique capable d’articuler des cadres de référence qu’ils soient législatifs et théoriques avec les systèmes de décisions et les expériences concrètes. Je crois en effet qu’il y a une confusion entre différents registres qui conduisent à des glissements répétés entre ce qui relève de la finalité, d’un objectif ou d’un programme d’actions.
Ce n’est pas parce qu’un pôle métropolitain souhaite inscrire un projet culturel dans une stratégie de notoriété (ce qui est compréhensible dans une vision du développement concurrentielle à l’échelle internationale) que pour autant il « instrumentalise forcément » cette action artistique et/ou patrimoniale. Il est temps maintenant de pouvoir regarder sereinement le fait qu’une même action puisse s’inscrire dans une pluralité d’axes stratégiques différents (à condition d’un accord minimum sur les valeurs portées par ces stratégies). Notre regard est peut-être quelque peu déformé par cette habitude à ne regarder les projets qu’au travers des délégations portées par les élus et des lignes budgétaires nécessaires à leur financement.
Le deuxième aspect de ce mandat donné à un EPCC, concerne la recherche d’un équilibre entre l’action interne aux territoires (logique endogène) et externes (logique exogène). En explorant de nouvelles modalités d’élaboration de projets, le pôle métropolitain tente de gérer l’extrême hybridation des activités d’un territoire et leur hétérogénéité. Comme le dit Pierre VELTZ, l’expérience urbaine est une combinaison reposant sur l’expérimentation collective des différences : ce sont les interactions qui sont les principaux moteurs d’une synergie commune (VELTZ, 2009). Vis-à-vis de l’extérieur, le pôle métropolitain pose la question du positionnement des villes dans une économie globalisée. Ces nouveaux ensembles urbains semblent modifier les rapports plus directs avec les Etats centraux. Nous parlons de Ville-monde, de Capitales régionales… Nous le voyons bien, avec les pôles métropolitains il y a un déplacement des centres de décisions et un repositionnement des rapports avec l’Etat central. Pour être un peu provocateur ces Cités-État ont-elles vocation à remplacer l’État-Nation ?
La seconde condition est que l’EPCC soit investi dans une capacité à expérimenter des coopérations sectorielles et territoriales (y comprise européennes et internationales) et d’en déduire des propositions d’améliorations sur une spécialisation des politiques publiques d’une part (car il en faut), et sur les possibilités de convergence de ces mêmes politiques d’autre part. C’est une question de responsabilités qui incluent une capacité de se projeter dans le futur à partir des risques pris dans le présent (VELTZ, 2009). Cela conduit à envisager l’EPCC dans un temps long, c’est-à-dire dans un temps politique et de pouvoir, à travers les expériences concrètes animées par une pluralité d’acteurs, gérer les incertitudes à partir d’un aller-retour incessant entre des effets recherchés, des hypothèses d’actions et des moments d’évaluation et d’ajustement des stratégies.
La troisième condition pourrait être un mandat et une capacité à gérer des calendriers et des espaces différents. Les questions posées aujourd’hui dans les espaces urbains et périurbains sont synonymes de fortes tensions à la fois économiques, sociales et culturelles. Il y a incontestablement de nouvelles ingénieries à concevoir la coopération au-delà d’une recherche de consensus, c’est-à-dire une capacité à gérer pacifiquement les dissensus. Cela suppose une régularité de travail entre des acteurs différents en explorant la place de la culture dans toutes ses dimensions, et non exclusivement sous l’angle du tourisme, de l’économie et du marketing territorial comme par exemple les possibles articulations entre culture/industrie/recherche ; culture et entreprenariat économique et social ; citoyenneté/culture/territoire ; langages/esthétiques/éducation/culture…
Replacée dans les stratégies respectives de chacun des acteurs, l’action collective a besoin d’un calendrier stratégique à la fois politique et administratif, opérationnel et démocratique qui demande des compétences particulières, donc une ingénierie particulière.
Les principes
Si nous retenons l’hypothèse que l’EPCC peut trouver sa pertinence dans les projets métropolitains et réunir les conditions dont je viens de parler, alors nous pourrions retenir quelques principes directeurs :
Le premier principe pourrait être d’arrêter de penser que l’innovation se produit par la création de nouveaux dispositifs et de réseaux. Cette logique d’accumulation n’est plus à même de réparer ce que les autres organisations n’ont pas pu faire. « Il faut faire émerger des acteurs visibles au risque de faire semblant de changer pour que rien ne change » (VELTZ, 2009)
Le second principe est de sortir d’une vision exclusivement utilitariste et instrumentale de la culture. C’est une dimension essentielle du vivre ensemble, elle est constitutive des êtres humains que nous sommes. Elle ne peut donc pas être cantonnée dans une fonction d’innovation et de compétitivité dans un contexte de « non entrave à la concurrence ». D’un côté, la compétition tous azimuts risque de devenir contre-productif (VELTZ, 2009) ; de l’autre, il s’agit d’intégrer l’expérience démocratique et citoyenne comme exigence d’une économie du bien commun et de l’espace public. Cet argument rejoint celui énoncé par les pôles métropolitains autour de la cohésion sociale qui devient la condition d’une réussite du développement.
Le troisième principe enfin serait une réelle prise en compte des aspirations des citoyens à vouloir travailler dans le secteur de la culture. En 2008, une analyse réalisée avec les services de l’INSEE au plan national a permis de montrer, à partir des données du recensement, qu’entre 1982 et 1999, la part des personnes se déclarant travailler dans le secteur de la culture avait progressé de 74 % (144 % en ce qui concerne le spectacle vivant). Cette étude devrait être réactualisée aujourd’hui : si les tendances se confirment, tout indiquerait que nous avons à faire face à un phénomène social qui dépasse très largement la simple notion d’« équipement culturel d’intérêt métropolitain ».
Penser
Pour conclure, je reprendrai les termes d’Emmanuel NEGRIER et d’Alain FAURE : « penser les métropoles rivales ou associées des régions nécessitent donc aussi de penser de façon dialectique des convergences et divergences des plus paradoxales dans les discours contemporains sur les biens communs ». Il faut espérer que la création de nouvelles organisations n’est pas là que pour pallier ce que les autres ne font pas ! Il faut penser (repenser) le passage à une problématique de transformation reposant sur le récit de la Cité (symbole et croyance) et une matérialité politique (NEGRIER, FAURE, 2011) ; C’est à partir de cette dimension stratégique que l’organisation, qui plus est un EPCC, peut trouver sa pertinence et son utilité.
Les membres du Comité national de liaison des EPCC souhaitent investir ces questions. Aussi nous vous invitons à venir poursuivre ces réflexions lors des premières Journées nationales d’études sur les Etablissements Publics de Coopération Culturelle, organisées à l’initiative de la DRAC Languedoc Roussillon, et qui se tiendront à Montpellier en novembre 2012.
Références bibliographiques
E. NEGRIER, A. FAURE, Politiques régionales, dynamiques métropolitaines et performances institutionnelles : et si Clastres et Putman avaient raison ? Colloque international « Associées ou rivales ? Les métropoles, les régions et les nouvelles dynamiques territoriales » – Sciences-Po Rennes, CRAPE ; Octobre 2011
P. VELTZ Quel avenir pour les métropoles dans la société de la connaissance ? Actes du colloque NANTES – RENNES METROPOLES Un nouveau cap en matière de coopération, 2009