Rapport CRC Le CentQuatre

En 2001, le conseil de Paris a décidé de réhabiliter le bâtiment, exceptionnel à maints égards, des anciennes Pompes funèbres de Paris, situé dans le XIXème arrondissement. Le bâtiment rénové a été inauguré le 11 octobre 2008. Il abrite depuis lors un établissement public culturel de la Ville de Paris, le Centquatre Paris.

La chambre a consacré à la réalisation de cette opération de réhabilitation et à la gestion de l’établissement public les observations ci-après développées.

La chambre relève que le Centquatre est un endroit vivant, fréquenté par le public, et qu’il est reconnu par la presse comme l’un des lieux de culture de la capitale.

La réhabilitation du bâtiment qui l’abrite a coûté environ 109 M€ pour les contribuables

Si, les 24 et 25 septembre 2002, le conseil de Paris a décidé du principe de la mise en valeur du bâtiment et de la viabilisation des espaces intérieurs, il n’a en revanche délibéré sur aucun coût prévisionnel.

Les travaux, commencés en mars 2006, ont été achevés en juin 2008. L’inauguration du Centquatre a eu lieu le 11 octobre 2008. La surface totale du bâtiment est établie à 36 800 m2 dont 7 300 m2 de parkings et 4 500 m2 de traversée centrale, soit 25 000 m2 de surfaces exploitables.

Le bâtiment se compose essentiellement de deux parties (séparées par une place, la cour de l’Horloge) : la plus vaste est la Nef Curial, qui est entièrement fermée et est chauffée ; la plus petite est la Halle Aubervilliers, ouverte à ses deux extrémités.

L’équipement dispose de dix-neuf ateliers destinés à accueillir chaque année trente à trente-cinq projets artistiques pour des résidences temporaires. Des espaces mutualisés (bureaux de production, vestiaires, stockage, salles de formation…) et des régies techniques complètent l’accompagnement de la création artistique.

Deux salles de spectacle de 200 et 400 places sont situées en sous-sol.

Le bâtiment abrite également une crèche, une librairie, un restaurant, un café, une épicerie, un marché bio et un local Emmaüs.

Le coût du programme de travaux estimé à 90 M€ n’a fait l’objet d’aucune présentation générale au conseil de Paris. Si les parisiens souhaitaient obtenir des informations sur le montant des crédits dépensés, ils devaient se reporter aux comptes annuels de la Ville disponibles sur un site internet.

En ajoutant au coût de la construction, le coût de la maîtrise d’ouvrage estimé forfaitairement à 6,3 M€ et le coût du financement exprimé par les intérêts se rapportant à la fraction des emprunts contractés par la Ville au cours de la période 2005-2009 (5,9 M€), le coût global pour les contribuables atteint 102 M€ (montant arrondi), soit 109 M€ en valeur actuelle 1.

L’établissement public culturel a pris à sa charge une part significative des coûts d’aménagement du restaurant et des librairies installées dans le bâtiment contrairement aux accords qui avaient été passés avec les gérants de ces commerces.

1 La chambre a déjà eu l’occasion d’utiliser cette méthode d’évaluation et de calcul, notamment dans son rapport sur la construction de la Philharmonie de Paris (2016).

Le projet culturel initial du Centquatre s’est rapidement soldé par un échec

Le projet culturel, conçu pour lancer l’établissement, s’articulait sur deux idées :

  • Accueillir des artistes en résidence (cinéastes, romanciers, musiciens, danseurs, designers, plasticiens, etc…), le temps pour eux de concevoir ou de finaliser une œuvre.
  • « Démocratiser la culture », en conviant le public à voir « l’art en train de se faire » à l’occasion de visites d’ateliers.

Le projet fondateur n’ayant pas suscité l’intérêt escompté, le bâtiment est resté « un lieu froid et vide », et après seulement une année d’activité, un verdict défavorable était rendu à la fois par le public et, surtout, par la presse.

Pressés de faire évoluer le Centquatre pour attirer les artistes et le public, ses directeurs ont sollicité une forte augmentation de leur subvention afin de développer de nouvelles activités. Mais la Ville de Paris n’ayant pas accédé à leur demande, ils n’ont pas sollicité le renouvellement de leur contrat en 2010.

Le nouveau directeur, désigné la même année, M. José-Manuel Gonçalvès, était précédemment depuis 1999 à la tête de la scène nationale de Marne-la-Vallée à la Ferme du Buisson (Noisiel).

La situation des finances du Cenquatre conduit à relativiser sensiblement le redressement opéré

Ayant pris ses fonctions en 2010, le nouveau directeur a réussi indéniablement à « faire vivre » ce lieu en fidélisant le public et en attirant sur lui l’intérêt des médias.

  1. Gonçalvès est parvenu, en effet, à gérer la situation qu’il avait trouvée avec une subvention de la Ville, quasi stable entre 2009 et 2015, puisqu’elle est passée de 8 M€ à 8,35 M€. En revanche, le redressement de l’établissement a bénéficié de nouveaux moyens de la part de la Ville avec des subventions exceptionnelles de fonctionnement, des soutiens financiers ciblés sur des événements particuliers, ainsi que des subventions d’équipement.

Ainsi le budget du Centquatre a pu atteindre 12,7 M€ en 2015.

Mais, au cours de la même période (2009-2015) l’exploitation du Centquatre a connu une dégradation continue et accentuée. En effet l’excédent de 845 000 M€, constaté en 2009, qui représentait alors plus de 10 % de la subvention de la Ville, avait presque disparu en 2015 (45 000 €).

La détérioration structurelle des comptes de l’établissement rend désormais presque inévitable une hausse de la subvention de la Ville dans les années à venir. Seules les hypothèses dans lesquelles l’établissement réaliserait d’importantes économies ou parviendrait à se procurer de nouvelles recettes permettrait d’écarter cette hausse.

Cette longue dégradation, entre 2009 et 2015, s’explique par un effet de ciseau dû à l’évolution divergente des recettes (+12 %) et des recettes (+ 21 %). L’augmentation des dépenses est due principalement à la hausse très sensible des charges de personnels (+ 27 %), les emplois permanents du Centquatre ont progressé d’un tiers et portés à 80 (ils étaient 60 en 2007).

Elément important de la dégradation de la situation financière entre 2009 et 2015, à partir de 2010, l’appui financier du Club des mécènes du Centquatre, par le truchement d’un fonds de dotation, qui avait été créé en 2009 a cessé. La perte de recettes pour l’établissement peut être chiffrée entre 2010 et 2013 à 2,8 M€.

S’il est difficile d’établir un lien de causalité entre le départ des co-directeurs en 2010 et la décision des entreprises membres du fonds de dotation de mettre fin à leur contribution, l’arrêt du mécénat a probablement été l’expression des incertitudes et du doute qui planaient alors sur l’avenir du projet.

Cette perte de recettes a été préjudiciable à l’établissement qui ne disposait pas alors, et ne dispose toujours pas, de « marge artistique » importante pour monter des spectacles.

Le directeur actuel a été nommé dans des conditions particulières en matière de conflit potentiel d’intérêts

A l’origine, les deux premiers co-directeurs ayant insisté pour être recrutés ensemble, M. Robert Cantarella, a été nommé directeur général, et, M. Frédéric Fisbach, directeur « simple ». Leurs conditions de rémunération étaient pourtant identiques et l’organigramme de l’établissement les plaçait au même niveau hiérarchique, avec les mêmes fonctions.

Cette organisation inhabituelle en une direction « double » ne correspondait bien sûr ni aux termes de la loi sur les établissements publics de coopération culturelle, ni aux statuts du Centquatre.

Après leur départ et à l’issue d’un intérim assumé par une fonctionnaire de la Ville de Paris, Mme Marie-Pierre Auger, entre janvier et septembre 2010, la nomination de M. Gonçalvès le 17 septembre 2010, a coïncidé avec le retour à un schéma classique avec un directeur assisté de directeurs adjoints. Son mandat a été renouvelé ensuite deux fois : le 29 mars 2013 et le 13 janvier 2016.

Toutefois, avant d‘être nommé directeur de l’établissement, M. Gonçalvès avait siégé au conseil d’administration du Centquatre entre juin 2009 et mars 2010. Sa participation aux travaux de ce collège dirigeant lui avait ainsi permis d’acquérir non seulement une véritable connaissance du fonctionnement de l’organisme, mais surtout des personnalités qui auraient à décider de la nomination du futur directeur.

Dans sa position d’administrateur, M. Gonçalvès a donc pu vivre de l’intérieur la crise traversée par la direction sortante. Il a pu en analyser les causes et réfléchir aux solutions possibles avec les administrateurs (dont le président) auxquels il devait s’adresser, quelques temps après, cette fois comme candidat au poste de directeur.

Cette position privilégiée ne l’a pourtant pas dissuadé de prendre part à la réunion du conseil d’administration du 5 janvier 2010 au cours de laquelle le cahier des charges du recrutement du futur directeur devait être arrêté. En cela, sa situation n’a pas été différente de celle de l’attributaire d’un marché qui aurait été dans la situation d’inspirer directement la rédaction de son propre cahier des charges.

Enfin, M. Gonçalvès a demandé à bénéficier d’une rémunération brute de 50 % supérieure à celle de son prédécesseur – étant précisé que ses fonctions recouvrent largement celles des deux co-directeurs qui l’avaient précédé. Cette rémunération mensuelle a ensuite été portée à 11 215 € (environ 9 400 € nets) par avenant du 14 septembre 2016.

L’organisation du Centquatre doit évoluer sous l’influence du nouveau statut de Paris

Si, le Centquatre a été constitué à l’origine en établissement public industriel et commercial (EPIC), cette solution a été rapidement abandonnée à la demande des services de la préfecture au titre du contrôle de légalité en raison de la part prépondérante des subventions publiques (70 %) dans les recettes de son budget.

Le Centquatre est donc devenu un établissement public de coopération culturelle par arrêté préfectoral du 23 septembre 2008. Ce statut permet aux collectivités territoriales fondatrices de continuer à subventionner l’établissement alors que son activité est commerciale et que la quasi-totalité de son personnel est régie par le droit privé.

Mais, la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain impose désormais une modification dans l’organisation du Centquatre. Si auparavant, le Centquatre n’avait été constitué que par une « coopération » entre la commune et le département de Paris, distinctes comme personnes morales, leur fusion pour former la Ville de Paris rend aujourd’hui inéluctable le choix d’un véritable nouveau partenaire.

RECOMMANDATIONS

Recommandation n°1

Accompagner la présentation des projets de travaux importants au conseil de Paris d’un chiffrage réaliste et, pour les travaux terminés, d’une information complète sur leur coût, notamment celui du financement (emprunts spécifiques ou quote-part d’emprunt globaux souscrits par la Ville) et de la maîtrise d’ouvrage.

Recommandation n°2

Respecter le cadre que la Ville s’est elle-même donné et sur lequel elle fonde sa communication en direction des Parisiens pour l’expérience du « budget participatif », en réservant les crédits disponibles à des projets proposés par la population locale, et non pour subventionner des projets préparés en fait par ses services ou par des organismes qui lui sont administrativement et financièrement rattachés.

Recommandation n°3

Restaurer l’équilibre des comptes d’exploitation de l’établissement public en recherchant des recettes nouvelles pour l’avenir du Centquatre, ou examiner une réduction significative des dépenses de fonctionnement, sauf à devoir plus ou moins fortement augmenter sa subvention ordinaire dans les années à venir.