Réponse du Comité national de liaison des EPCC au Sénateur Vincent EBLE sur l’influence du droit communautaire sur les financements des services culturels

Au sujet de la Communication du 4 avril 2012 du groupe de travail sur l’influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales

A l’attention de M. Vincent Éblé, Sénateur, Président du groupe de travail.

 

Monsieur le Président,

Nous avons lu avec beaucoup d’attention votre communication sur « l’influence du droit communautaire sur le financement des services culturels ». Nous vous rejoignons dans votre volonté « de faire évoluer le cadre juridique de manière pragmatique ». La lecture de votre communication du mercredi 4 avril 2012 nous suggère plusieurs remarques. Nous savons la situation complexe au regard de la diversité des réalités du secteur culturel et son relative atomisation dans un grand nombre de segments. Les réponses à construire face à cette évolution des cadres réglementaires ne sont donc pas aisées.

Pour aller directement au sujet qui nous intéresse ici, rappelons simplement que le législateur a souhaité en 2002 la création d’un statut juridique dédié pour assurer la pérennité d’un service culturel public : l’Etablissement Public de Coopération Culturelle (EPCC). Comme il est précisé dans le rapport du Ministère de la Culture et de la Communication sur les EPCC[1] :

À la première partie du code (dispositions communes à toutes les collectivités), au  livre IV « Services publics locaux », après les titres premier « Principes généraux » et  II « Dispositions propres à certains services publics locaux », l’article 1er de la loi  ajoute un titre III intitulé « Etablissements publics de coopération culturelle »,  composé d’un chapitre unique divisé en neuf articles (art. L. 1431-1 à L. 1431-9), tous  relatifs aux EPCC constitués par les collectivités territoriales et leurs groupements  avec l’État en vue de gérer « un service public culturel présentant un intérêt pour  chacune des personnes morales en cause et contribuant à la réalisation des objectifs  nationaux dans le domaine de la culture ».  

Et par ailleurs, l’article 2 de la loi ajoute au titre premier du même livre IV, un article  L. 1412-3 qui autorise « les collectivités territoriales, leurs établissements publics, les  EPCI ou les syndicats mixte » à « individualiser la gestion d’un service public culturel  relevant de leur compétence par la création d’un EPCC soumis aux dispositions du  chapitre unique du titre III du présent livre ». Cet article a donc pour objet de  permettre la création d’EPCC sans l’État, soumis cependant aux mêmes règles que les  EPCC avec l’Etat et n’en différant que par de subtiles nuances dans les objectifs que la  loi leur assigne.  

L’Etablissement Public de Coopération Culturelle est donc une des réponses aux exigences de la Commission Européenne. Les EPCC, parce qu’ils sont un service public de la culture, ne sont pas dans le principe concernés par ces nouvelles règles : c’est comme si ces règles étaient appliquées aux Dotations Globales de Fonctionnement entre l’Etat et les collectivités territoriales, cela serait impensable ! Un examen approfondi des missions contenues dans les statuts des EPCC serait sûrement utile pour conforter cette hypothèse. Parce qu’ils sont juridiquement des services publics autonomes, les relations entre les EPCC et les collectivités publiques ne doivent pas être qualifiées d’in-house. Enfin, le mandat confié par le conseil d’administration de l’établissement au directeur de l’EPCC accentue le caractère public de ces structures.

Cependant la question n’est pas seulement une mise en conformité aux règles européennes. Cette situation invite également à s’interroger sur les responsabilités politiques et professionnelles à construire un service culturel public. : quels projets bénéficient de plus de 500 000 € sur trois ans ? Les établissements culturels dépassant ce seuil sont nombreux, en particulier dans le domaine du spectacle vivant. Pourquoi alors ne pas mobiliser des solutions que la législation permet ? Un examen approfondi du positionnement de ces projets et équipements dans la sphère publique, permettrait peut être de résoudre une partie des problèmes, à partir d’un socle de missions stabilisées et référencées, garantissant l’autonomie des directeurs dans leur projet artistique et culturel ?

Cela conduirait alors les collectivités publiques à prendre de réels engagements vis-à-vis des usagers, des citoyens et des contribuables[2] à gérer de manière pérenne des services culturels publics dans le cadre des règles de gestion commune à l’ensemble de la puissance publique. Cette volonté politique pourrait trouver sa concrétisation dans un statut juridique adapté, respectant l’autonomie des projets artistiques et culturels : les régies personnalisées lorsqu’une collectivité souhaite assumer seule la responsabilité de gestion ; un EPCC lorsqu’au moins deux collectivités s’engagent, avec ou sans l’État, à développer un projet que chacune ne pourrait réaliser de manière isolée.

L’EPCC est du point de vue de la loi, un service culturel public : nous pourrions dire qu’en tant que prolongement direct de la puissance publique, un EPCC est l’État au sens de la Commission Européenne. Certaines collectivités, en créant un EPCC, ont parfois pu confondre les logiques de cofinancements d’un projet autour de services « externalisés » (ou considérés comme tels), avec celles de coopérations politiques en faveur d’un investissement à long terme dans la culture dans toutes ses dimensions qu’elles soient esthétiques et patrimoniales, sociales et éducatives, économiques et professionnelles et bien évidemment territoriales, y compris à l’échelle européenne. Ces confusions accentuent les incertitudes juridiques actuelles.

Aussi, nous pensons qu’il faut, fort notamment de l’expérience des EPCC menée depuis 10 ans, reprendre l’idée de mieux formaliser le référentiel d’un service culturel public. En effet, la loi française reconnait ce service dans le Code Général des Collectivités Territoriales. En s’empêchant cette piste de réflexion, un risque existe de voir une remise en cause des principes fondateurs des EPCC.

Ces structures de coopération, outil pensé par le législateur comme outil de décentralisation et de coresponsabilité avec l’Etat – lorsqu’il en est membre – tentent dans de nombreux cas de clarifier les stratégies dans lesquelles sont envisagées des activités économiques et culturelles : c’est un travail indispensable, de long terme. Cette clarification des objectifs et des missions – dès lors que les équipements et les projets mobilisent des fonds publics – peut (doit) s’adosser sur les cadres de référence internationaux et européens ratifiés par la France comme la Déclaration Universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle ou la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne pour ne reprendre ici que deux exemples. De nombreux réseaux européens comme Culture d’Action Europe ou IETM ont fait part de leurs propositions à la Commission pour une meilleure prise en compte du caractère multidimensionnel et pluriel des projets culturels et artistiques. M. Jean Michel Lucas vous a d’ailleurs adressé une réponse écrite sur ces aspects suite à la parution de la communication du groupe de travail que vous présidez.

Les réponses existent déjà, partiellement, à condition de sortir de la stricte approche juridique. Ce nouveau cadre réglementaire offre l’occasion de définir le corpus à partir duquel l’intervention publique peut être synonyme d’intérêt général et de bien commun, et non d’accumulation d’intérêts particuliers. La singularité des politiques culturelles françaises doit nous inciter à rechercher de nouvelles solidarités avec nos voisins européens, non pas en projetant notre modèle sur l’espace européen, mais en créant les conditions d’une convergence des stratégies publiques communes en faveur de la culture au même titre que l’éducation et la recherche. Il faut sûrement pour cela aller au-delà d’une gestion des activités et les réinscrire, les repositionner résolument sur le plan politique.

Depuis plusieurs mois, le comité national de liaison s’était engagé dans ce travail de décryptage. Nous savons la situation complexe. Nous pensons que les réponses aux questions posées par ces changements ne sont pas seulement d’ordre technique. Le Comité national de liaison souhaite promouvoir un questionnement par les enjeux et des processus de coopération en resituant ces évolutions réglementaires dans un projet politique global de l’Union Européenne. L’approche exclusive en termes de concurrence ne saurait quant à elle répondre aux enjeux d’ordre culturel de la construction d’une Europe politique et citoyenne. En qualité d’Etablissements Publics, les EPCC souhaitent prendre part aux débats sur ces évolutions, aux côtés des collectivités territoriales et de l’Etat.

En vous remerciant d’avoir pris connaissance de notre contribution, et restant à votre disposition pour vous rencontrer très prochainement.

Bien respectueusement.

Le Comité national de liaison des EPCC

 

EN 2012, LE COMITE NATIONAL DE LIAISON DES EPCC REUNIT : ANJOU THÉÂTRE, ARCADI, BIBRACTE – PARC ARCHÉOLOGIQUE ET CENTRE DE RECHERCHE, CENTRE CULTUREL DE RENCONTRE DE L’ABBAYE DE NOIRLAC, CENTRE NATIONAL DU COSTUME DE SCÈNE ET DE LA SCÉNOGRAPHIE, CHÂTEAU DE LA ROCHE GUYON, CHEMINS DU PATRIMOINE EN FINISTÈRE, CICLIC – AGENCE RÉGIONALE DU CENTRE POUR LE LIVRE, L’IMAGE ET LA CULTURE NUMÉRIQUE, CIRQUE JULES VERNE – PÔLE NATIONAL CIRQUE ET ARTS DE LA RUE, CITE INTERNATIONALE DE LA BANDE DESSINÉE ET DE L’IMAGE, DOMAINE RÉGIONAL DE CHAUMONT SUR LOIRE -CENTRE D’ART ET DE NATURE, ÉCOLE SUPÉRIEURE DE L’IMAGE ANGOULÊME POITIERS, EPCC DE LA NIÈVRE, ESPACE DES ARTS – SCÈNE NATIONALE DE CHALON SUR SAÔNE, LA CONDITION PUBLIQUE, LA COUPOLE CENTRE D’HISTOIRE ET DE MÉMOIRE DU NORD-PAS-DE-CALAIS, L’AUTRE CANAL – SCÈNE DE MUSIQUES ACTUELLES, LE CARRE LES COLONNES, LES TREIZE ARCHES, LIVRE ET LECTURE EN BRETAGNE, SALINE ROYALE D’ARC-ET-SENANS, THÉÂTRE DE BOURG-EN-BRESSE, THÉÂTRE DE L’ARCHIPEL, THÉÂTRE FOIRAIL CAMIFOLIA, THÉÂTRE LE QUAI.



[1] Rapport N° 2010 – 19  RAPPORT  sur  les établissements publics de coopération culturelle  juin 2010  Michel Berthod  inspecteur général  avec la collaboration de  Marie-Christine Weiner  chargée de mission d’inspection générale

[2] Pour reprendre ici les termes de la loi d’orientation de loi de finances (LOLF)

A télécharger Texte Comité EBLE_final